Il y a quelques années, France Télévisions a diffusé un reportage sur l’ascension des Annapurnas par quatre personnes à mobilité réduite. Elles étaient équipées d’un fauteuil tout terrain et escortées d’un guide de haute montagne et d’accompagnateurs. Ce reportage, Sabine Goddet, jeune femme d’une quarantaine d’années, l’a visionné plusieurs fois, rêvant de rouler à son tour sur les traces des participants.
Aller au Népal en fauteuil roulant pour faire un trek, un projet insensé quand on est en situation de handicap et à mobilité réduite ?
Peut-être. Mais le désir est trop grand !
Quelques temps plus tard, le rêve devient réalité. Sabine quitte son Annecy natale et s’envole pour le Népal. Au programme : un trekking intense de trois semaines dans la vallée du Mustang, à bord d’un fauteuil tout terrain !
Le périple n’est pas de tout repos comme elle nous le raconte avec humilité dans son récit de voyage. Mais les émotions sont fortes et on se laisse porter avec plaisir par sa plume au fil des pages.
Découvrez dans l’interview qui suit les coulisses de cette incroyable expédition !
1. Du rêve à la réalité : comment préparer un voyage au Népal en situation de handicap ?
Bonjour Sabine, merci de nous avoir fait découvrir votre livre !
Comme nous, vous êtes passionnée de voyages et vous avez beaucoup parcouru l’Europe avant de vous lancer dans des contrées plus lointaines. Avant de voir ce reportage sur l’ascension des Annapurnas, vous n’aviez jamais songé à entreprendre une telle expédition ?
SG : Bonjour et merci de m’accueillir. Absolument pas ! En revanche, dès que j’ai regardé ce reportage à la télévision, j’ai pressenti qu’un jour je partirai au Népal. C’était une évidence. Peut-être parce que je suis obstinée et j’ai la capacité de ne pas me mettre de barrières malgré ma vie en fauteuil roulant.
Au début du livre, vous expliquez avoir toujours été très entourée par vos parents. Comment avez-vous vécu le fait qu’ils se soient opposés jusqu’au bout à ce trekking ? Quelles ont été les réactions de vos proches en général ?
SG : Mes parents ont énormément fait pour moi : par leur aide, leur présence, leur soutien. Aujourd’hui, je suis toujours plus proche d’eux. Ils s’inquiètent pour leur fille, d’autant plus à chaque départ pour de nouveaux horizons. Ils étaient contre ce trekking pour des raisons légitimes et compréhensibles. Un trekking au Népal n’est pas une promenade de santé pour une personne en fauteuil roulant. Les difficultés et les risques sont multipliés par 10. J’ai volontairement occulté les inquiétudes de mes parents. J’avais déjà mes propres doutes, mes propres craintes. Mes parents n’ignorent rien de mes désirs, de mes projets, ils ne peuvent pas me retenir car je tente de mener ma vie à ma guise. Quant à mes proches, les avis étaient partagés entre encouragements et incompréhensions. Certains ont découvert ma personnalité à cette occasion.
Lorsqu’on est atteint d’une maladie grave et rare, et qu’on est en fauteuil roulant, le frein majeur pour ce genre de projet est d’ordre médical. Je pense surtout au mal des montagnes en raison de l’altitude. Votre médecin référent vous a-t-il fait des recommandations particulières en fonction de votre maladie ? Avez-vous suivi un traitement ou un programme spécial ?
SG : Avant de partir, je savais que nous allions passer un col à 4 000 mètres d’altitude. J’ai donc consulté mon médecin pour savoir s’il y avait des contre-indications. Ses recommandations ont été suivies à la lettre : je devais boire seulement de l’eau en bouteille, manger que des aliments cuits ; prendre garde aux lésions cutanées, une escarre pouvant apparaître avec le stress ; enfin m’hydrater avec au moins deux litres d’eau par jour car en altitude, on ne ressent pas la sensation de soif et pourtant on se déshydrate très vite. Je n’ai pas pris de traitement contre le mal des montagnes. Pour le moment, mon organisme ne réagit pas négativement à l’altitude. En revanche, autant que possible, je me suis entrainée physiquement avant le départ.
Pour l’organisation du trek, vous avez fait appel à Michel Veisy, guide de haute montagne et co-créateur de l’association Samoëns-Handiglisse. Voyager avec le même guide qui a officié dans le reportage de France 2 qui vous a tant fait rêver, c’était un réel plus pour partir l’esprit tranquille ? Vous a t-il donné des conseils particuliers ?
SG : Le guide ne m’a pas donné de conseil en particulier, il était présent à chaque instant, j’avais confiance en lui et en les personnes du groupe. La présence des Népalais était rassurante aussi.
Vous étiez quatre personnes à mobilité réduite à prendre part à ce voyage. Vous êtes-vous rencontrées avant le départ ?
SG : Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois lors de réunions d’informations, de préparation. Pour autant, il faut vivre en vase clos et pendant plusieurs jours pour découvrir le caractère des uns et des autres.
Contrairement à vos trois coéquipiers, vous n’aviez pas de proche pour vous accompagner. Comment avez-vous fait pour en trouver un finalement ?
SG : Dès le début de l’aventure, le guide savait que malheureusement aucun proche ne pouvait m’accompagner au Népal. Cela ne semblait pas poser de difficulté puisque plusieurs personnes du groupe se sont proposées pour m’apporter leur aide à tour de rôle. Effectivement, au Népal des personnes se sont plus investies que d’autres dans l’aide humaine.
2. Arrivée au Népal : première approche du pays à Katmandou
Votre périple a débuté à Katmandou, dans la capitale népalaise. Quel souvenir gardez-vous de cette première approche du pays ?
SG : J’ai immédiatement adoré cette métropole avec le sentiment d’atterrir sur une autre planète. Pourtant, je ne suis pas une novice en matière de voyages. Mais Katmandou a vraiment une âme particulière. C’est un méli-mélo de bruits, d’odeurs, des véhicules omniprésents. Elle a gardé un côté hippie aussi. Et puis il y a les castes, les traditions, le business à chaque coin de rue. Quant aux habitations, elles tiennent debout par miracle, etc. C’est un total dépaysement.
Comment est l’accessibilité en fauteuil roulant à Katmandou ?
SG : C’est un pays très pauvre. L’éducation et le système de santé sont défaillants. Les personnes en situation de handicap ou malades ne sont donc pas une priorité. Elles vivent recluses. Pendant trois semaines, j’ai croisé un seul homme en fauteuil roulant… La capitale n’est donc pas accessible mais la gentillesse et l’aide des Népalais pallient la plupart des difficultés.
Avez-vous senti que le regard des gens était différent du fait de votre condition physique ?
SG : Ma silhouette est frêle, ma personnalité est introvertie. Je cherche souvent à me fondre dans la foule. Pourtant en raison de mon fauteuil roulant, je ne passe pas inaperçue. Bien sûr, j’ai ressenti le regard des Népalais sur moi, mais ce ne fut jamais un regard pesant, plutôt curieux voire interrogateur sur une Occidentale « privilégiée » quelque part. J’ai accueilli tous ces regards avec le sourire comme dans toutes les relations (même éphémères) que je noue avec autrui.
La religion est omniprésente dans les rues du Népal, avec notamment les moulins à prières. Vous citez d’ailleurs le Dalaï Lama : « Il n’y a personne qui soit né sous une mauvaise étoile, il n’y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel. » Plus tard, vous écrivez ne pas être revenue tout à fait la même du pays de Bouddha. Vous vous sentiez plus zen et plus en phase avec le monde qui nous entoure?
SG : Je ne dirais pas que je suis plus zen. Je resterai toute mon existence une anxieuse, une hyper sensible. Par contre, j’ai appris à relativiser en présence de certaines situations comme la bêtise humaine qui, parfois, persiste vis-à-vis des personnes en situation de handicap ou des exclus de la société, entre autres. Je ne m’énerve plus pour des balivernes. Avec le temps, je suis dans une phase d’acceptation face aux mystères de la vie et des turpitudes des êtres humains.
3. Déroulé du trek de trois semaines dans la vallée du Mustang
Le début de l’expédition est l’occasion de découvrir tous les moyens humains mis en place. Il faut pas moins de neuf sherpas et trente porteurs pour rendre l’aventure possible ! J’ai été touché de lire que tous les porteurs étaient des étudiants qui ont été recrutés spécialement pour apporter une aide financière à leurs familles, suite aux séismes qui ont frappé le pays cette année-là. Cela a dû donner une dimension encore plus particulière à votre voyage ?
SG : Tout à fait. Le séisme fut un invité surprise lors de ce séjour au Népal. Pendant quelques jours, nous ne savions pas si nous allions partir. Finalement, nous avons appris avec joie et une certaine crainte que le trekking était maintenu, la région du Mustang n’ayant pas été touchée par le tremblement de terre. D’une simple aventure humaine, cette expédition a pris un visage plus humanitaire, renforçant mon désir de partir. J’avais le sentiment de participer, très modestement, à la reconstruction de ce pays, de ne pas être seulement une consommatrice.
Pendant le trek, vous deviez piloter un fauteuil tout terrain sur des routes plus ou moins acrobatiques… Les péripéties que vous racontez dans le livre m’ont parfois donné des sueurs froides ! Avez-vous suivi une formation pour vous familiariser avec cet engin ?
SG : Le fauteuil tout terrain, appelé Quadrix, ne m’était pas inconnu. J’ai rencontré plusieurs fois son concepteur. Je ne suis absolument pas une sportive, j’ai appris à conduire l’engin en quelques jours seulement. La conduite est simple, il suffit d’avoir confiance en soi, de ne pas avoir peur.
Vous expliquez que le rythme était intense. Lever à 6 heures, petit-déjeuner à 7 heures, départ à 8 heures. Après avoir gigoté pendant plusieurs heures sur le fauteuil tout terrain, votre corps devait être endolori en fin de journée. Comment avez-vous fait pour tenir trois semaines ? Avez-vous des conseils à donner ?
SG : C’est là que toute la philosophie bouddhiste prend forme. Vivre l’instant présent intensément, sans penser au lendemain. Humblement, je crois que j’ai eu beaucoup de chance. Mon organisme a résisté à tout. Ensuite, le désir de vivre cette expérience m’a peut-être donnée une force physique et psychologique insoupçonnées. Au final, l’être humain est capable de surmonter les écueils. Donner des conseils, c’est presque impossible. Je peux seulement avancer qu’il faut bien se connaître, avoir un réel désir de partir et ne pas oublier que toute personne handicapée a ses contraintes spécifiques et ses propres limites.
Vous n’avez jamais eu de soucis de santé sur place ? Comment se passait le suivi médical ?
SG : Lors de ce périple, j’ai eu une petite gastro-entérite pendant une demi-journée, très vite soignée. Sinon aucune migraine, ni de nausée en raison de l’altitude. Pourtant, je suis un petit gabarit. Il ne faut donc pas se fier aux apparences. Avant de se lancer dans un trekking, il faut réfléchir aux difficultés et aux conséquences. Pour le moment, malgré mon handicap dit lourd, j’ai la chance de ne pas avoir trop de soucis de santé. En cas de graves problèmes médicaux, la solution était un rapatriement médical, chacun avait souscrit à une assurance spécifique.
Avant de partir, vous saviez que l’accessibilité serait sommaire pendant le trek, notamment au niveau de l’hébergement, des wc et de la possibilité de faire sa toilette. Pensez-vous que ce soit un point qui puisse remettre en question une telle expédition pour certaines personnes en situation de handicap ?
SG : Oui ! Perdre son autonomie pendant plusieurs jours, être dépendante des autres est non seulement frustrant mais difficile à accepter psychologiquement. Ensuite, il y a le problème de l’hygiène qui peut devenir une vraie problématique pour certaines personnes en situation de handicap. Pour ma part, je me suis conditionnée psychologiquement avant le départ mais la réalité est toujours autre. Certains jours furent difficiles à gérer avec le froid, l’éloignement et la solitude.
A plusieurs reprises, vous nous faites saliver en nous parlant des spécialités culinaires locales. Rudy et moi sommes connus pour être des gourmands et nous adorons goûter de nouveaux mets en voyage ! Quels plats vous ont le plus marquée ?
SG : Je ne pensais pas me régaler avec la gastronomie népalaise simple mais goûteuse. Le plat national bien sûr : le dal bhat. Un vrai délice même s’il revenait presque chaque jour au menu.
Plus le récit avance et plus vous rencontrez des difficultés relationnelles avec certains membres du groupe, ce qui m’a bien désolé. J’ai eu le sentiment que votre handicap n’était pas toujours compris et que cela se serait passé différemment si vous étiez partie accompagnée d’un proche. Vous êtes-vous sentie soutenue par le reste de l’équipe dans ces moments-là ?
SG : Mon handicap semble anodin, involontairement je peux donner l’impression que l’existence en fauteuil roulant n’est pas compliquée. En réalité mon handicap est lourd dès que je suis à l’étranger. Si j’avais été accompagnée d’un proche, le séjour aurait été tout autre. Certaines personnes m’ont aidée, d’autres personnes m’ont comprise et il y a les autres…
Lorsque vous arrivez au sommet, on sent que vous êtes heureuse mais que ce n’est pas le plus important. « Le challenge n’a jamais été un objectif, ni le côté sportif. » Cette phrase résume votre état d’esprit et la raison d’être de ce voyage initiatique ?
SG : J’ai l’âme d’une voyageuse, l’esprit ouvert à toutes nouveautés. Un voyage doit m’enrichir culturellement, intellectuellement, spirituellement, même les paysages ont souvent une signification cachée. Partir sans essayer d’aller à la rencontre des habitants, de découvrir leur manière de vivre, leurs traditions, etc. n’a aucun intérêt et va à l’encontre de ma conception du voyage.
France 2 a réalisé un reportage vidéo sur votre trek, que l’on peut voir sur YouTube (lien ci-dessous). Je me doute que l’on ne peut pas résumer trois semaines en dix minutes d’images. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai apprécié découvrir cette vidéo après avoir lu votre livre. Malgré tout, ce reportage est-il représentatif de ce que vous avez vécu ?
SG : D’une certaine manière, le reportage vend du rêve, un bel aperçu du trekking. Il montre de magnifiques paysages, il met en exergue que tout est possible dans la vie malgré un handicap mais il gomme les difficultés physiques, psychologiques et relationnelles qui sont réelles.
4. Retour de voyage et nouveaux projets
Votre voyage au Népal remonte à bientôt quatre ans. Quel souvenir en gardez-vous aujourd’hui ?
SG : Je n’oublierai jamais ce voyage au bout du monde, ni les Népalais, dont mes quatre porteurs. Dans le tumulte des journées, parfois je revis en pensées des instants précieux. Il reste un merveilleux périple.
Après avoir lu votre livre et regardé le reportage que France 2 à consacré à votre trek, je me dis que ce dernier n’était pas sans danger. Entre les terrains rocailleux, les passages au bord des précipices, les chutes de pierres, le froid… Finalement, vos parents avaient-ils raison de s’inquiéter ? Je suis curieux de savoir comment ils ont réagi à la lecture de votre livre ?
SG : L’inquiétude de mes parents était légitime. Longtemps, j’ai tu certains détails. Ils ont pris conscience de la réalité à la lecture du livre. Certains passages les ont particulièrement émus.
« Poussée par le Vent » est votre premier livre, paru en juin 2018. Aviez-vous prévu de coucher sur papier votre expérience avant d’entreprendre cette expédition ? Avez-vous pris des notes pendant le trek ?
SG : L’écriture a toujours fait partie de mes centres d’intérêt comme la littérature et bien sûr les voyages. Lors de ce voyage, j’ai pris des notes sans arrière-pensée. C’est quelques mois après mon retour que je me suis installée devant mon ordinateur et les mots sont venus tout naturellement. Le manuscrit terminé, j’ai osé l’envoyer à des éditeurs, des retours ont été positifs, on connaît la suite.
Après le Népal, où avez-vous voyagé ? Avez-vous de nouveaux projets ?
SG : Je continue à sillonner la planète autant que possible, avec d’autres personnes. A chaque fois, il y a des imprévus, des situations comiques, parfois pénibles mais la découverte d’un pays est toujours un moment merveilleux. Il y a eu Chypre, Israël, la Grèce, le Vietnam… Bien sûr, j’ai de nouveaux projets de voyages mais chut ! (sourires)
Pour terminer, avez-vous des conseils à donner à nos lecteurs en fauteuil roulant qui souhaiteraient se lancer dans un voyage comme le vôtre ?
SG : Avoir envie, ne pas céder face à la peur et oser tout simplement !
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Livre très touchant qui prouve qu’avec de la volonté on peut gravir des montagnes !!!🏔️⛰️🗻